LA CHAPELLE SAINT MARTIAL

La chapelle Saint-Martial du Palais des Papes d’Avignon :
un chef-d’œuvre de la peinture du XIVe siècle


Le Palais des Papes d’Avignon témoigne avec éclat de ce que fut le séjour de neuf papes à Avignon entre 1309 et 1403. Pour régner efficacement sur la chrétienté depuis Avignon, il fallut que chacun de ces papes apportât de nombreuses transformations à cette cité provençale de moyenne importance jusqu’à ce que celle-ci devinsse une grande ville cosmopolite, prenant rang parmi les cités européennes les plus importantes et devenant pour sept décennies la capitale de la chrétienté.

©Nicolas Bryant - Avignon Tourisme 2013
La construction d’un palais pontifical constitua la pierre d’angle de cette métamorphose. En moins de vingt ans (entre 1334 et 1352), grâce au Trésor de l’Eglise, Benoit XII et Clément VI (puis dans une moindre mesure Innocent VI et Urbain V) parvinrent à bâtir un palais d’une grande ambition qui devint le cadre du gouvernement de l’Eglise.
Ce palais, en dépit des périls qui ont pesé sur lui, a été remarquablement bien conservé. Il constitue aujourd’hui un témoin unique de l’architecture palatiale médiévale, un bien patrimonial classé Monuments historiques en 1840 et inscrit au Patrimoine mondial de l’humanité en 1995. 
   
Conçu pour abriter le pape et ses principaux collaborateurs ainsi que le travail quotidien de la Curie, aménagé pour le déroulement de la vie liturgique, prévu pour les réceptions princières, ce palais marque l’urbanisme avignonnais de ses hautes et impressionnantes murailles. Les pontifes voulurent encore que leur résidence eût de l’éclat et y firent travailler de nombreux sculpteurs et peintres. D’abord Benoît XII entre 1334 et 1342. Puis, après son élection en 1342, Clément VI entendit agrandir considérablement le palais de son prédécesseur le pape Benoit XII et en refaire tout le décor pictural, tâche qu’il réalisa en une dizaine d’années.

Le décor voulu par Clément VI était conçu pour manifester l’importance de cette nouvelle demeure pontificale sur les bords du Rhône mais aussi sa légitimité.
Clément VI fit notamment refaire les peintures des deux chapelles superposées de la tour des chapelles, choisissant avec soin un programme iconographique destiné à démontrer la filiation entre la papauté avignonnaise et Rome.


 

 
Il confia à un peintre italien, Matteo Giovannetti, la réalisation du décor peint des chapelles Saint-Michel, Saint-Martial et Saint-Jean. Ces deux dernières avaient été installées dans la tour dite des chapelles accolée à l’aile du Consistoire. C’est alors que leur fut attribué les vocables que nous leur connaissons.
La chapelle supérieure – qui constituait la capella parva (petite chapelle) de l’édifice -, ouvrant dans la vaste salle du Grand Tinel (salle des réceptions), fut consacrée à saint Martial auquel le cycle de fresques fut dédié.

Saint Martial était considéré comme un treizième apôtre, envoyé par saint Pierre évangéliser le Sud de la Gaule. Son importance était très grande et Clément VI, lui-même originaire du Limousin, voulut la mettre en exergue et établir un parallèle entre Martial envoyé par Pierre en Gaule et le pape régnant depuis Avignon. Ce faisant il entendait légitimer la présence du Saint Siège sur les bords du Rhône, présence qui suscitait une large réprobation en Italie.
La part prise par Clément VI à la conception du programme iconographique de la chapelle fut incontestablement très importante.


Le chantier de réalisation des fresques (1344-1346)
Le chantier débuta dans les premiers mois de 1344 et concerna l’ensemble des parois et de la voûte de la chapelle.
Matteo Giovannetti semble y avoir travaillé seul dans un premier temps, puisque les archives ne mentionnent l’arrivée de ses collaborateurs qu’en octobre 1344. Le temps nécessaire pour le peintre d’organiser ce chantier et de concevoir sa composition. Ils y travaillèrent jusqu’en septembre 1345. Le compte final des peintures des chapelles Saint-Michel et Saint-Martial daté du 3 janvier 1346 consigne les salaires et les achats de matériel et de couleurs. Le peintre dirigeant le chantier était chargé de payer les collaborateurs qu’il avait réunis. Lui-même fut payé pour 425 journées de travail pour les deux chapelles.

Le peintre travailla à la fresque (technique très utilisée en Italie à cette époque consistant à peindre sur un enduit frais afin que les couleurs deviennent plus solides et durables sous l’effet de la carbonatation). Il fit cependant des adaptations notables à cette technique, notamment en supprimant la pose du premier enduit mural (la technique classique comporte deux enduits superposés sur le mur, l’arricio et l’intonaco ; ici il n’y a que l’intonaco) et en donnant une importance inhabituelle aux rehauts à sec posés sur la composition pour en rehausser l’éclat.

Matteo Giovannetti a commencé par peindre la sinopia, c’est-à-dire la composition d’ensemble travée au pinceau dans une teinte ocre directement sur le mur, afin de pouvoir juger de l’ensemble de l’œuvre et de la présenter au commanditaire avant la phase de réalisation de la fresque proprement dite.
Le peintre devait tout à la fois être capable de répondre au programme iconographique de son commanditaire, de concevoir une œuvre développée sur une surface murale considérable ainsi que sur les voûtes mais aussi d’organiser le chantier depuis la pose des échafaudages, l’achat et l’acheminement des matériaux jusqu’au choix des collaborateurs et l’organisation des diverses phases de leur travail.

Le récit de la vie de saint Martial commence à la voûte, réparti de manière symétrique sur chacun des huit voûtains qui reçoit une scène identifiée pour plus de clarté par une lettre de l’alphabet. La voûte présente ainsi l’enfance et la jeunesse de Martial. Puis le récit se poursuit sur les murs où il se déroule en suivant une spirale descendante et continue, passant sur chacun des murs. D’abord les scènes du registre supérieur en forme de lunette, puis les grandes scènes rectangulaires du registre médian.

A la base des murs, sur une hauteur de près de 3 mètres, un décor d’architecture en trompe l’œil donne l’illusion d’une galerie rythmée de colonnettes et d’arcatures ouverte sur le ciel.
La figure de Martial, richement vêtu d’une chape ornée de motifs métalliques en relief et coiffé d’une mitre, se retrouve à l’identique de scène en scène. A chaque miracle qu’il réalise, des groupes d’hommes et de femmes l’observent ébahis, prêts à se convertir. Des démons s’échappent des personnes possédées sauvées par Martial. Toutes ces foules sont l’occasion pour le peintre d’exercer son talent de portraitiste, d’expérimenter la représentation réaliste, individualisée et expressive des personnages de son temps. Ce sens du portrait est très précoce et constitue l’une des qualités exceptionnelles reconnues à ces fresques. Le goût de la profusion décorative en est une autre avec un luxe de détails apporté aux vêtements, aux textiles ornant l’architecture.
Enfin, Giovannetti développe ici des recherches spatiales sophistiquées, établissant des jeux entre l’architecture de la chapelle et les architectures feintes. Le cadre architectural des diverses scènes, églises, palais, édicules est l’occasion de jeux de perspective, le peintre établissant des trouées dans ses édifices pour en donner à voir l’intérieur.